Retour en Norvège

Au-delà du cercle polaire arctique
A notre retour de Nothaugen, l’année dernière, nous n’avions qu’une idée en tête : repartir en Norvège mais cette fois, plus au nord…

Une dernière dérive qui s’était soldée par une casse sur un Flétan record m’avait laissé un goût amer dans la bouche, un goût de revanche…

Direction Bodo donc ! La petite ville portuaire située au-delà du cercle polaire arctique est un point de départ idéal pour parcourir la région. Cette fois-ci c’est en famille que nous chargeons nos cannes dans la soute, les 4 membres de la fratrie sont réunis et le patriarche nous accompagne.
PRESENTATION DE L'EQUIPE :
PIA: L'Ours

La pêche ne l’intéresse pas forcément mais elle est toujours partante pour aller crapahuter dans les bois et ramasser des myrtilles. Son ennemi juré : le matin.
LE GUS : Le Contemplatif

Pour lui, la pêche c’est retourner à l’essentiel. Son plaisir ultime est de regarder son petit bouchon couler. On le retrouvera parfois, à plat ventre dans l’herbe, à observer un champignon pousser pendant 1h.

JEROME : Le Grand Sage

Le père de la fratrie, celui qui nous à tout appris. Un peu à la traîne sur les techniques modernes, son approche de la pêche repose sur des théories plus ou moins fumeuses qu’il se plait à exposer comme une vérité absolue.

COME : Le Moyenâgeux

Le confort et la douche sont pour notre animal sauvage, des éléments accessoires de son voyage. Il n’est pas non plus difficile à nourrir, un bol de semoule Tipiak le comblera de bonheur.


ROMEO : Le Jusqu'auboutiste

Un obsessionnel compulsif. Tant qu’il fait encore jour, il continuera à pêcher, ça tombe bien en Norvège, à cette période, le soleil ne se couche jamais…

Nous avons décidé de lancer nos premières cuillers dans le Rago National Park. Ses 17 000 hectares de forêts, montagnes, lacs et rivières, accolés au Padjelanta, au Sarek Suédois et au Stora Sjofallet constituent la plus vaste zone entièrement sauvage d’Europe. Il est notamment connu pour abriter une forte population de gloutons et bien sûr un certain nombre d'espèces de Salmonidés. Bref, un petit coin de paradis que nous comptons parcourir à pied pendant 4 jours.
Rago National Park
Le Rago National Park dans toute sa splendeur
Avant le départ, nos amis de Sakura nous ont équipés pour se mesurer à tout type de poissons, et lorsque nous atteignons enfin la rivière Nordfjorddelva au bout d’un fjord, je n’ai qu’une envie : y tremper mes leurres au plus vite.
Fin juin, à cette période de l’année, le soleil ne se couche tout simplement jamais et à minuit il fait aussi jour qu’en France à 20h. Une sensation assez particulière mais surtout l’opportunité d’aller pêcher à 2h du matin, en plein cagnard.
Nous dressons donc notre premier bivouac au bord du cours d’eau et Augustin fait chauffer la casserole. On verra bien ce qu’on pourra mettre dedans… Malgré les eaux translucides de la rivière et un spot idyllique, nous rentrons complètement bredouille et devons entamer notre premier paquet de semoule Tipiak.

La nuit est difficile, nous sommes assaillis par des hordes de moustiques qui ont clairement envie d’en découdre et ce jour sans fin nous fait perdre tous nos repères.

Le lendemain, départ tôt pour marcher jusqu’à une première cabane ouverte à 10 km de l’entrée du parc. Le sentier n’est pas simple à suivre, le rythme est lent et les quelques centaines de mètres de dénivelé à grimper s’avèrent finalement bien plus longues que prévues. Nous arrivons au refuge en fin de matinée, les pieds trempés (comme d’habitude), et Augustin s’occupe encore une fois du feu et de la popote..
Au menu : Tipiak bien sûr, agrémentée de quelques figues séchées…
Jérôme se remet doucement de ses émotions, il n’a pas l’habitude de traîner ses grandes guibolles sur un terrain pareil à 66 ans. Pendant qu’il repose ses hanches, Pia et Côme ont découvert une petite barque et des rames sur le lac en contrebas. C’est ça la magie de la Norvège, tout est laissé ouvert et à disposition de tous.

C’est l’occasion de faire deux équipes.

L’objectif est clair, il faut du poisson pour ce soir. Jérome, Côme et Pia partent explorer le lac en barque pendant qu’Augustin et moi partons descendre le cours de la rivière jusqu’à la fameuse cascade Litlverivassforsen, la plus grande chute d’eau du nord du pays.

Après avoir quitté le sentier, nous parcourons pendant une bonne heure un terrain en pente douce, une terre de marais et de mousses d’où s’élèvent boulots et pins. Au détour d’un bloc de roche, on y découvre un petit lac et plus loin un ruisseau, point de ravitaillement idéal pour nos gourdes. Dans ce décor de rêve, on s’attend à voir débouler un élan à tout moment…
Avant d’atteindre la rivière, il nous faut traverser une forêt recouverte de pousses de myrtille et de lichen, on se croirait dans un conte de fée. Nous suivons les traces d’animaux jusqu’aux berges, sous la cascade. Une petite plage de sable nous attend, et tout semble indiquer la présence de jolies truites dans ce coin paradisiaque.

Après deux heures à enchaîner les lancers avec un petit Phoxy Minnow de chez Sakura, le constat est dur. Seulement deux petites truites se seront laissées tenter, un repas bien maigre pour nourrir 5 gloutons. Il est temps de rentrer au camp en espérant que l’autre équipe ait fait une meilleure pêche.
En arrivant à la cabane, Côme et Jérôme ont le sourire aux lèvres, visiblement le lac était plus productif que la rivière et 6 belles truites nous attendent pour le dîner. Assaisonnées en papillote, au piment d'Espelette, c’est un vrai régal.

Avant d’aller se coucher, Côme, Augustin et moi repartons sur le lac pour pêcher le repas du lendemain. Pêcher des truites à minuit sous le soleil, dans une nature vierge, a quelque chose de vraiment magique….
La pêche sous le soleil de minuit sur le lac Storskogvatnet
La cabane Sørengamma, juste assez de place pour deux
Le lendemain, une grande journée de marche nous attend encore sur les hauteurs du parc, cette fois pour atteindre le grand lac de Litlverivatnet. Les dernières truites de la veille dans le sac, nous grimpons pendant 2h avant d’atteindre une petite hutte troglodyte en haut d’une colline. Ce n’est qu’un simple trou dans une bute de terre avec une petite porte en bois mais elle nous servira d’abri pour le déjeuner.
L’après-midi, nous repartons en direction de Litlverivatnet et nous nous accordons une escale baignade et pêche au bord d’un lac de montagne qui regorge de petites truites. L'occasion pour Côme de prendre ses premiers poissons à la mouche, devant Le Gus qui s’essaie à la natation en eaux profondes…
Soupe de truite et semoule au menu
Le soir, en arrivant sur les berges, le soleil se couvre, les nuages s’amoncellent et un gros orage se prépare… Heureusement toute la troupe s'équipe des derniers imperméables Bredouille pour profiter d'un bon moment au coin du feu avant d'aller dormir.

Sous les rafales de vent et la pluie battante, notre tente, à Côme et moi, a du mal à tenir et nous passons une nuit très compliquée…
Le calme avant la tempête
Jérome, pas très serein, vu les nuages derrière lui
Ne jamais partir sans son imper Bredouille
Le lendemain, il est temps de retrouver la voiture pour la suite du périple. Nous nous levons encore une fois de bonne heure pour entamer les 8 km qui nous séparent de l’entrée du parc.
Nous trouvons plusieurs bois de rennes sur le chemin, ce qui témoigne d’une grande activité Samies dans la région. Les troupeaux de rennes semi-domestiques sont rassemblés à la fin de l’été par hélicoptère avant de transhumer à travers ces vastes étendues pendant l’hiver. Nous n'en avons pourtant pas aperçu pendant ces 4 jours mais comme toujours Jérôme a sa théorie là-dessus :
“Il fait trop chaud en ce moment, ils ont dû monter plus haut dans les montagnes, là où il reste de la neige ! “
Cette fois-ci on veut bien le croire…
Sur le retour, Pia râle un peu sur les sentiers boueux, les pattes trainent, mais nous arrivons finalement à bon port en fin de matinée.

L’odeur des sacs après 4 jours de bivouac embaume la voiture d’un doux fumet, et nous ne rêvons que d’une chose : un bon hot dog dans la première station service que nous croiserons. Les Norvégiens nous regardent un peu de travers dans les villages en voyant entrer dans leurs échoppes 5 grands nigauds tout crottés...
Et au milieu coule une rivière...
Le ventre plein, nous tentons cette fois notre chance sur la rivière Beiarelva, encore un nom imprononçable mais qui est apparemment très réputée pour la pêche au saumon. Après quelques heures à longer les berges, il faut se rendre à l’évidence : le saumon, ce ne sera pas pour aujourd’hui…
Les élans ont l'habitude de s'approcher des villages pour paitre l'herbe fraiche des prairies. Nous croisons celui-ci juste avant d'arriver à la rivière.
Nous remontons à pied à travers la forêt sur une dizaine de kilomètres jusqu’à une petite cabane de chasse munie de 2 banquettes et d’un poêle à bois. Dominant la vallée, elle offre un point de vue idéal pour l’observation des grands cervidés. Avec Côme, nous décidons d’explorer les alentours à minuit, en quête des élans qui sont apparemment nombreux dans le coin. Mais à part quelques lagopèdes, c’est encore une fois bredouille que nous rentrons au camp.
Notre cabane pour la nuit
Côté pêche, nous restons pour le moment un peu sur notre faim. Malgré des spots tous plus fabuleux les uns que les autres, les poissons se font rares. Nous décidons donc de partir plus tôt que prévu pour les Îles Lofoten, sur la côte.
Difficile d’utiliser autre chose que des superlatifs pour décrire cet archipel situé à 30 miles nautiques du port de Bodo. Des falaises démesurées aux cimes enneigées chutent dans une mer cristalline et glaciale. Tout est vert, tout est grandiose, ce paysage irréel a des airs d’un Hawaï du grand Nord.
Nous passons la première journée à randonner sur l’archipel pour découvrir un peu plus cette côte déchiquetée. C’est aussi l’occasion de se reposer enfin et de profiter d’un peu de confort, bien au chaud dans notre “Rorbu”, notre cabane de pêcheur.

Des centaines de têtes de morues sèchent sur des piloris en bois entre les petites maisons de planches rouges au toit recouvert de mousse. La campagne de pêche à la morue a lieu pendant l’hiver et des centaines de bateaux partent au petit large remplir leurs cales de poissons frais, qu’ils feront ensuite sécher à terre. Ces courageux marins sont accompagnés par des milliers de mouettes qui ont bien compris le système et préfèrent s’attaquer aux poissons sur les bateaux plutôt qu’aux peaux dures et sèches des morues restées sur les îles.
les fameuses têtes de morue séchées, vendus notamment au Nigéria pour en faire de la soupe
Petite randonnée jusqu'à la plage de Kvalvika à notre arrivée sur l'archipel
Pour cette première journée en mer, direction la pointe sud des Lofoten. Entre l’île de Vaeroy et l’île de Moskenes, se forme à chaque marée l’un des plus gros courants d’Europe : Le Maelstrom… Cette large zone au fond très accidenté est certainement le secteur la plus poissonneuse du pays. Lieus noirs, morues et flétan y côtoient orques, baleines à bosses et autres cétacés. Bref, ballotés par les flots, dans cette mer déchaînée, on ne sait plus trop où donner de la tête ni comment pêcher.
Nous arrivons à sortir quelques lieux noirs et quelques maquereaux qui feront des vifs idéals pour viser les gros flétans. Nous enchaînons les dérives le long des falaises un peu à l’abri des courants en jiggant avec de gros leurres souples ou de lourds Madaïs. Les premières touches ne tardent pas et plusieurs belles morues montent au bateau.
Le trio gagnant des Lofotens : Morue, Flétan, Lieu Noir
Les aigles pêcheurs jouent à chat avec les mouettes pendant qu’un phoque plonge dans les laminaires avec le même objectif que nous : ramener du poisson. C’est à ce moment-là que l’on entend un souffle puissant percer la surface à quelques mètres du bateau : un orque nous salue d’un coup de queue, avant de disparaître totalement. Augustin choisit cet instant pour piquer son premier flétan du séjour. Il retournera très vite dans les profondeurs pour grandir encore, tout comme le suivant, qui se sera jeté 20 minutes plus tard sur un gros shad monté sur une tête de 250 grammes.
Difficile de trouver meilleur décor pour lancer ses leurres...
Cette première journée nous donne un bel aperçu de la faune locale ! En revanche, nous avons définitivement perdu notre ours à nous, Pia, qui, frigorifiée et trempée jusqu’aux os, commence sérieusement à tirer la tronche, pire qu’au petit déjeuner. Une dernière dérive et promis on rentre Pia !

Halibut !!

Sur cette dernière dérive je ferre enfin un joli flétan qui finira le soir même au four. Augustin a décidé de nous le cuisiner en filet, quelques grains de poivre, un peu d’huile d’olive et le tour est joué.
Un joli flétan pris sur la dernière dérive au shad.
Le deuxième jour, Pia et Jérôme partent visiter chaque musée de la morue de chaque village des Lofoten (occupation des plus instructives !) pendant que Gus, Côme et moi repartons au cœur du Maelstrom. Cette fois, l’objectif est de s’attaquer aux gros lieus noirs de la région.

Dès les premières dérives dans cette mer tourbillonnante, nous ferrons les premiers poissons qui nous régalent au Jig avec des touches et départs en fanfare. Ces pélagiques dégagent une puissance phénoménale et il est important de les brider au maximum pour leur éviter un accident de décompression lorsqu’ils plongent à la verticale.

Alexander nous disait qu’ici il était possible de prendre des lieus de plus d’1m en pêchant aux leurres de surface… Il fallait absolument qu’on essaie. Les oiseaux commencent à s’exciter sur la zone et au coeur du bouillon, le popper de Côme se fait littéralement happé par un gros lieu noir… 2 minutes plus tard, c’est Gus qui se fait dégommer par plusieurs lieus simultanément. Très vite, nous sommes tous les trois pendus, et la fête continuera pendant au moins deux heures, à l’occasion desquelles des poissons d’1m et d’une agressivité impressionnante viendront taper nos leurres.

L’après-midi, Gus prendra son deuxième flétan du séjour. Bref, une journée qui restera dans les annales. Nous rentrons fourbus, trempés, mais la banane aux lèvres. A la maison, bien au chaud dans nos sweats Bredouille, des fish and chips de flétan et du lieu noir en papillote nous attendent... Difficile de faire mieux.
Festival de lieus noirs en surface
Dernier jour, dernière sortie en mer… Cette fois, c’est Gus qui reste à terre avec Pia, toujours pas réconciliée avec le Maelstrom, pour aller explorer les hauteurs qui surplombent le charmant village de Reine.

Aujourd’hui, l’objectif est de prendre une grosse morue et pourquoi pas un flétan record. La mer est belle, le soleil brille, le vent tombe, tout semble nous sourire. Dès le premier spot, nos jigs sont très vite stoppés à la descente et les morues s'enchaînent. Rien de très costaud pour le moment mais on se régale dans ce décor de rêve. Côme parvient enfin à toucher une belle morue d’une dizaine de kilos avant le déjeuner, puis nous partons vers les plateaux à Flétans.
Une belle morue pour Côme prise devant les îles Mosken
Depuis le début, il faut bien l’admettre, cette pêche nous fait presque peur… Difficile de s’imaginer attelé à un autobus de 2m40, on ne sait même pas si notre matériel peut tenir ce genre de poisson. Tout est très expérimental.

Le montage est très simple : un gros plomb de 450 gr, un trainard d’1m50, et un petit lieu noir monté sur deux hameçons triples. L’idée est de laisser dériver nos lignes à 7 m au-dessus du fond afin de capter l’attention de l’un de ces géants, tapis sur le sable.

La mer est tellement calme que nos lignes sont perceptibles au sondeur, nous voyons nos 3 points évoluer, légèrement décollés du fond, sur le moniteur.
Conditions de rêve, décor de rêve, il ne manque plus que le poisson de rêve
1h plus tard, Côme enregistre sa première touche. Deux coups de tête francs, il lui rend de la ligne mais au ferrage …rien. Côme a encore les jambes qui tremblent.

2h plus tard, toujours pas le moindre signe de vie et nous sommes sur le point d’abandonner quand soudain, au sondeur, une grosse trace rouge se décolle du fond jusqu’à rejoindre les 3 petits points que représentent nos lignes.

Difficile d’être plus en tension qu’à ce moment précis. Après 30 secondes, ma canne se plie littéralement, dans un bruit de frein caractéristique. Dans le jargon, on appelle ça un gros départ. Même schéma, je rends un peu la ligne, et au ferrage…rien. La désillusion. Il est malheureusement temps de regagner la terre…

Encore une fois, le gros flétan Norvégien nous échappe. Alexander sera déçu.
Le lendemain, il est déjà temps de rentrer. La boule au ventre, nous reprenons le ferry pour Bodo, puis le vol pour Oslo, puis les bouchons parisiens…

Ces contrées sauvages nous rappellent encore et dans l’avion, une troisième expédition, toujours plus au nord, se préparait déjà…